Lune de miel à Manille

La lune de miel a pris fin depuis belle lurette entre elle et moi. Mais ce matin de juillet 2018, alors que le courant d’air nommé Maria s’apprête à venir faire valser nos palmes, il est bien agréable de se replonger dans ces doux souvenirs d’antan. Chabadabada chabadabada… Petit journal de Manille, octobre 2017.
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Buko (noix de coco) fraîches à vendre dans une rue du quartier Burgos de Makati

Poursuite du journal d’une expatriée à Manille avec cette lune de miel, inattendue et revigorante! « C’est votre première journée dans la mégalopole… »

Petit matin sur Manille 

C’est votre première journée dans la mégapole. Au petit matin, vous découvrez Manille et son visage froissé par de nombreuses insomnies.

Ça y est, vous avez passé votre première nuit dans votre condominium, au 33ème étage. Vous n’aviez jamais dormi aussi près des étoiles… L’esprit légèrement embrumé par six heures de décalage horaire, vous ne savez plus très bien si c’est un hélicoptère ou un marteau-piqueur qui vous a réveillée.

Au petit matin, depuis votre balcon, vous découvrez la ville miniature à vos pieds et toutes les fourmis qui la font tenir debout. Manille vous offre un visage froissé par de nombreuses insomnies. Un grand lacet marron glacé se faufile dans la plaine urbaine, une mosaïque de toits forme un puzzle géant, de grandes tours semblent se soutenir les unes les autres. Des sentiments confus vous traversent.

C’est vrai qu’elle n’est pas tout à fait comme vous l’aviez imaginée. Mais vous vous dites que ce qui compte après tout, c’est sa beauté intérieure. Et cette beauté, vous comptez bien aller la capturer à la volée, dans l’étrangeté d’un instant, dans le cœur d’un palmier, dans un ciel rose offert par le soleil avant sa cure de sommeil, dans l’échange d’un sourire, dans l’œil d’un cyclone ou autre havre de paix.

Equation à deux inconnus : un regard croisé est généralement un sourire gagné

Manille s’éveille, vous décidez de vous lancer dans une balade urbaine, parce qu’une ville ne s’apprivoise jamais mieux qu’à pied. L’atmosphère semble légère… C’est l’avantage des particules fines, on ne les sent pas ! Un gardien de parking vous salue de façon enjouée et un chauffeur de tricycle vous souhaite la bienvenue aux Philippines! Le caissier du 7-eleven vous demande si vous parlez quelques mots de tagalog, vous lui répondez « konti lang » et vous avez l’impression de le rendre heureux pour la journée. Des passants vous disent « hello ma’am » de temps en temps, comme ça, pour le plaisir de saluer une étrangère, et ça vous donne un grand sentiment de liberté. Ici vous n’avez pas à baisser les yeux.

Vous prenez le taxi et le chauffeur s’enquiert de savoir si vous êtes mariée, si votre mari est philippin, si vous avez des enfants, pourquoi vous êtes ici, comment vous supportez Manille, veut savoir les lieux que vous avez visités, préférés, si vous avez déjà mangé du balut, ponctue ses questions de « heavy traffic Ma’am », « it’s stuck here ».Vous jetez un coup d’œil par la vitre aux congénères responsables de ce tohu-bohu (et du fait d’avoir à déballer votre biographie complète) et pêle-mêle s’entremêlent jeepneys, tricycles, bus, berlines coréennes, bolides japonais… Vous pensez à la personne à laquelle vous aviez donné rendez-vous à une heure précise dans un lieu précis et vous intégrez les premières notions du « Filipino time ». Vous pensez que l’expression « Bahala na » (advienne que pourra) que vous avez lue dans le Lonely Planet est de circonstance.

En rentrant chez vous, le gardien de votre condo découvre largement ses dents sur votre passage et fait danser ses sourcils de haut en bas. Puis il reprend sa chansonnette, l’arme en bandoulière. La voisine croisée dans l’ascenseur est curieuse de savoir d’où vous venez. Vous lui dites que vous venez de France et elle vous cite du tac au tac un personnage historique très célèbre, le fameux Louis Vuitton.

On a tous quelque chose en nous de Jose Rizal

Ce soir, au bar, vos voisins de table rient à s’en décoller la luette et s’égosillent à en faire choir les petits lézards nichés aux coins des murs. Le serveur fait « hai! » quand il s’emmêle les pinceaux dans votre commande et, s’il ne peut répondre positivement à votre demande, se fond en excuses avec un « reallyyy sorryyy ma’am » accompagné d’une expression faciale qui fait reparaitre l’enfant en lui jamais parti. Au fur et à mesure que le volume sonore augmente, « tapooos »* met les points sur les « i », la chanson « happy birthday to youuuu » fait vibrer les glottes et génère une effervescence rare. Mais quand un micro se présente à l’un d’eux, tout devient soudainement très sérieux. On se sent alors accéder, au fil des notes écornées, au quelque chose de Jose Rizal que chaque Philippin a en lui.

Et puis on rit…

Dehors, sur les trottoirs de la ville, on attend patiemment en rang deux par deux son bus, son train, son jeepney. On fait bruyamment claquer ses sandales sur l’asphalte fumeuse, on soulève son t-shirt pour laisser respirer un bidon tout rond, on éructe sans avoir à craindre la désapprobation de son voisin, on gobe sa brochette d’intestins, et puis on rit. On rir si on a honte, on rit si on a mal, on rit si on a peur, on rit parce que c’est plus léger pour soi et l’autre.

Vous rentrez chez vous, là-haut pour regagner vos étoiles, tapies derrière le voile lacté de gaz en tous genres, et vous vous dites qu’avec des habitants pareils, Manille finalement ne manque pas de couleurs. Vous entamez votre lune de miel…

*donc, en tagalog

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