Un dernier jour à Manille

Retour à la première personne du singulier. Demain Mon œil se fermera définitivement sur Manille, mais ne tardera pas à retrouver de sa fraîcheur très bientôt, quand il se posera le mois prochain sur la chatoyante cité shanghaienne. Moultes questions me taraudent à cette croisée des chemins, et notamment celle-ci, tout à fait pertinente sur ce blog: reprendrai-je ma plume là-bas? Ne cherchera-t-elle pas à danser tel un pinceau sur un bout de bambou pour mieux hiberner ensuite? Cela ne nous empêche pas de réfléchir à une nouvelle identité pour une nouvelle vie. Je pense à … Il n’y a que Shanghai qui m’aille? (trop tôt pour le dire!) Shanghai en éventail? (mouais) Shanghai mon bercail? Sur les rails de Shanghai? Shanghai en détail? Ça ne me dit rien qui vaille.

En attendant de rejoindre l’Empire du milieu, recentrons-nous sur mon dernier jour, ici dans mon archipel tout dégingandé, au doux nom féminin pluriel de Philippines. 11 mois ce n’est pas rien. Mais c’est assez. Un genre de parenthèse ponctuée d’interrogations…. Pourquoi être revenue aux Philippines? Pourquoiiii? Cohérence et cohésion: 0. Elle dit qu’elle ne voit pas le rapport. Erreur de rédaction là-haut? Mais en y regardant de plus près, j’ai pu compter quelques 10 bonnes raisons:

  1. mettre à jour mon expérience du pays et ne pas rester sur une vieille impression de 2011 (et donc revoir ma copie concernant les chauffeurs de taxi de Manille: depuis qu’il y a Grab, ils sont Uber sympas)
  2. découvrir l’île de Siargao, donc (voir article précédent)
  3. retrouver le confort des 30 degrés minimum perpétuels (on ne parlera pas de l’inconfort des 36 degrés habituels)
  4. retrouver la joie de partir en vacances à Bali pour 170 euros A/R
  5. retrouver des gens que j’apprécie et m’inonder de bienveillance
  6. retrouver ma plume et mon œil
  7. retrouver le goût de la meilleure mangue au monde (ça lui a valu un article un jour)
  8. ajouter une ligne à mon CV et réactiver mon American English (en roulant les rrr tout de même)
  9. […] (+ toutes les raisons qui me paraîtront évidentes une fois à Shanghai)
  10. assurer la transition Casablanca-Shanghai

Et c’est déjà pas mal!

Allez hop, sur ce, je clos mon œil sur Manille, et je vous donne rendez-vous là-bas, dans la ville qu’on appellera entre nous « Changaille », sur un hébergeur de blogs où il vous faudra me lire entre les lignes parfois, censure oblige.

Allez, chère Manille, retenons nos larmes de typhon, ce n’est qu’un babaiiiille…

(Mais please, là-haut, ne me faites pas le coup du jamais deux sans trois! J’ai d’autres pays à fouetter moi.) 20180520_144236

Siargao, divin nid d’îles

Quand je cherche les raisons qui ont pu motiver le ou la rédac’ chef de mon destin à me faire revenir aux Philippines huit ans plus tard, celle-ci me parait plus qu’évidente: il me fallait découvrir Siargao. J’ai tant bien que mal essayé de retranscrire ce qui m’a transcendée sur cette île, mais en réalité, ça ne s’explique pas. Ça se chante au mieux. Bande son ici : Wowowohwohwoh!
Article publié sur le Petit Journal de Manille.
Siargao Philippines Voyage
Siquijor, Apo, El Nido, Camiguin, Bohol, Boracay, Moalboal… vous pensiez avoir déjà écumé les plus belles îles des Philippines, foulé les plus belles plages de sable blanc, fait la sieste sous les plus beaux cocotiers, navigué sur les plus beaux lagons. Vous n’aviez plus grande ambition sur le terrain insulaire et aviez placé vos rêves d’aventures au-delà de l’archipel philippin, quelque part entre Cuba et Bali, sous les sunlights d’autres tropiques.
Finalement, pour la venue de G. et M. en terres locales, vous avez dû envisager de nouveau la possibilité d’une île, et avez opté pour les eaux de Siargao. Parce que la destination était plus que conseillée par les amateurs de rouleaux d’été et les Instagrameuses des îles, parce qu’ils laissaient entendre que Siargao c’est le nouvel El Nido, le nouvel eldorado, et puis parce que vous l’aimiez bien ce mot, Siargao, sonnant comme une promesse du crépuscule, comme un cri du corps de corsaires du Pacifique. Siargao !

Siargao

La promesse d’une île

Les jours qui précèdent votre voyage, vous ne vous attardez pas plus sur les blogs que sur votre Lonely Planet ensommeillé. Vous savez qu’il y aura assez de vagues pour vous laisser porter, de chemins pour vous laisser rouler, que ce sera ce genre d’île où à la croisée des chemins, vous n’avez qu’à suivre les flèches dessinées au sol par votre destinée.

Ce matin de jeudi de Pâques, à l’aube, à l’heure où des cohortes de véhicules échauffent le bitume des sillons urbains, vous vous propulsez dans les airs, là-haut entre deux couches moelleuses de nuages. Hélas il semblerait qu’un hublot soit resté ouvert, car la cabine se transforme petit à petit en chambre froide. C’est donc le corps aussi raide qu’un pain de glace que vous vous engagez sur le tarmac du familial aéroport de Siargao. Heureusement la douceur du souffle matinal vous régénère en quelques minutes et c’est ainsi que vous échappez de justesse à l’hypothermie.

Une courte plage de publicité

Les jours qui vont suivre ne seront plus qu’un enchainement de moments de félicité et les mots qui vont suivre qu’une succession d’éloges. Siargao, ou la plénitude absolue. Le sentiment de ne faire qu’un avec un lieu. L’évidence spatio-temporelle. L’idéal humano-naturel. Le bonheur total intégral. Vous n’avez pas les mots pour décrire Siargao et êtes tentée d’arrêter la rédaction de cet article ici. De simplement inviter le lecteur à poursuivre sa lecture sur skyscanner, de le laisser s’abandonner à sa rêverie dans son bureau ou son condo.

SiargaoMais c’est plus fort que vous, vous revenez à la ligne, celle qui s’allonge à la surface de l’horizon à la nuit tombante. Vous avez encore envie de roucouler dans les souvenirs lumineux de votre île enchantée. Vous voulez vous rappeler les déambulations en scooter sur les routes nichées entre les hectares de palmiers et les rizières peuplées de buffles paresseux, les bouteilles de Coca Cola versées dans le ventre de votre engin, les sauts périlleux et les promenades en paddle dans les eaux cristallines d’une lagune, les balades sur les eaux des mangroves à chercher les crocodiles, les échappées nocturnes entre amies sur les habal-habal – longues motos locales à toit, le sentiment d’être aux prémices de quelque chose, les intrusions inattendues dans des lagons pacifiques, les soirées douces au goût de rhum-mangue, au son du Jungle disco, les pizzas les meilleures que vous ayez mangées, les habitants les plus cool que vous ayez rencontrés, l’enivrant sentiment d’être libre et protégée, la bande originale des vacances signée Gilbert Montagné, la plage peinte à l’aquarelle devant votre bungalow, les soirées éclairées par la lune pleine, les quêtes inachevées de pan de coco, la halte en bateau sur une île s’apparentant à un banc de sable échoué dans l’océan et qu’on dit nue parce qu’inhabitée, les cafés frais et les smoothies bowls au petit matin à Shaka, les heures à contempler ceux qui n’ont pas peur des vagues, l’esprit bon enfant, les maisons sur pilotis sur les rives des mangroves, les noix de coco fraiches au sortir de l’eau chaude, les coqs musclant leurs cuisses sur des planches obliques, le goût des crevettes grillées sur les doigts et les calamansis arrosant votre filet de poisson.

Siargao

Y’a rien à faire qu’à rêver

Vous ne voulez pas oublier cela. Ne pas laisser les images accumulées dans votre Samsung peu à peu figer les mouvements, altérer vos souvenirs d’espaces éthérés. Vous les voulez vivantes encore longtemps en vous, pour que les jours à venir soient plus doux dans la brute ville, pour que les bleus de Siargao se déposent comme une fine pellicule sur le béton de vos trajets quotidiens. Vous voulez tout garder vivant, le goût du sel sur votre peau, les vives piqûres des moustiques voraces, le léger vent dans vos mollets, les coups vaches du soleil sur vos épaules et même l’insupportable musique des Sunlights des tropiques.

Voilà en quelques mots comment cette courte exploration pascale aura suffi à placer Siargao dans votre Panthéon personnel des îles les plus divines de l’archipel… Maintenant, pour que cette île aux trésors reste préservée du sort réservé à ses sœurs maudites, vous suggérez que tout cela reste entre vous bien sûr.

 

Siargao 

 

Rêves éveillés (Casablanca)

Ce papier pour le Petit journal, je l’ai écrit avec mes tripes, comme le chante Abba (abat). Mais doucettement, tout en mesure, afin de ne pas brusquer mon lectorat manillais avec mes élans de passion pour un pays qu’ils n’ont pas choisi, une vie qu’ils n’ont pas connue.
Mais quand ma plume commença à déverser sa nostalgie pour la ville blanche, plus qu’écrire Casablanca, j’aurais voulu crier Casablanca, pour qu’elle revienne, comme Aline dans la chanson. Crier comme elle me manque, comme ceux que j’y aime me manquent, comme celle que j’y étais me manque. Crier comme c’est un chagrin qui ne guérit pas. Crier que Manille ne panse pas ce genre de chagrin. Et prier. Pour qu’une autre vie me vienne.
Maroc Manille expatriation
Rêves éveillés chez le coiffeur. Envolée nostalgique… et le baume d’une liste non exhaustive des petits bonheurs quotidiens à Manille !

 

Cela fait bien 6 centimètres que vous en êtes partie et pourtant aujourd’hui encore la voix du muezzin résonne en vous comme si c’était hier. Ce matin, dans votre salon de coiffure philippin, vos rêvasseries vous ramènent au cœur des palmiers que vous avez vu pousser sur les boulevards de la ville qu’on dit blanche… Casablanca.

Vous fermez les yeux…

…et, alors que pas moins de trois personnes s’affairent autour de votre maigre chevelure, vous vous retrouvez propulsée là-bas, au plus près de vos racines, à quelques 12 000 kilomètres d’ici où s’allongent vos pointes. Au rythme des coups de pinceaux sur vos longueurs, vous longez la corniche. Les silhouettes des dattiers s’imposent devant un ciel bleu qu’on dirait peint par Majorelle – à vrai dire le ciel le plus digne de confiance que vous n’ayez jamais connu. L’océan s’échoue obstinément sur la plage, le soleil se couche nonchalamment sur l’océan, la mosquée Hassan II se dresse magistralement sur l’horizon…

Un verre d’eau et un cookie servis plus tard, vous reprenez la visite. Sous vos paupières fermées, le bleu et le blanc ne sont menacés par aucune teinte jaunâtre des jours qui passent. Vous vous rappelez les déjeuners en terrasse tout au long de l’année, les effluves des fleurs des orangers, les noos noos fumant (café au lait ou lait au café), les accents chantant, les rues de Maarif, les quatre saisons, et puis les gens de là-bas, les gens et ce qu’ils font de la vie, les gens et ce qu’ils vous font comprendre de la vie… Que tout est possible, que vraiment oui, tout est possible. Mais seulement si Dieu le veut. Que les limites sont faites pour être dépassées et les cadres pour décorer. Que rien n’importe plus que son prochain. Que la vie est un théâtre, que la rue est un parfait décor de théâtre, que si l’on crie c’est pour jouer. Qu’on doit savourer la vie comme un couscous du vendredi midi entre amis. Que la plupart du temps, il n’y a pas de problème, et que c’est une bonne raison pour en créer, des problèmes.

Et alors qu’on vous masse activement le cuir chevelu, vous vous dites qu’…

un jour aussi peut-être, vous vous remémorerez Manille avec nostalgie chez un coiffeur d’Antananarivo ou de Chicago. 

L’amie nostalgie

A vrai dire, cette nostalgie, vous vous en êtes fait une amie, une compagne des moments intimes, peu encombrante et ô combien réconfortante. Elle intervient subrepticement, quotidiennement, chaque fois qu’un détail de la vie vous rappelle comment le Maroc s’est coulé en vous tel le miel dans la chebakia(pâtisserie marocaine du Ramadan). Vous avez le inch’allah et le hamdullah tanguant sur le bout de la langue, vous ne vous offusquez pas si les choses ne sont pas tout à fait comme vous les aviez envisagées, au moment où vous les aviez envisagées, ni où vous les aviez envisagées. Vous acceptez mieux la vie comme elle vient et cet apprentissage-là vous est drôlement utile aux Philippines.

Un silence inhabituel vous fait revenir à vous, ici et maintenant, dans la réalité du pays qui vous accueille. Votre designer de cheveux et ses deux assistantes ont l’air ravies de leur création et s’enquièrent de connaître votre avis sur la question. Ces regards-là, ces sourires-là, vous dites-vous, sont vos meilleurs remèdes à la mélancolie. Vous jaugez ce qu’il reste du verre d’eau qu’on vous a servi généreusement et malgré cette échappée belle en terrain connu, vous le voyez plutôt plein, ce verre.

La liste non exhaustive des petits bonheurs quotidiens à Manille

C’est vrai, plus vos cheveux poussent, et plus vous parvenez à apprécier les petits bonheurs du quotidien à Manille. Ce matin, vous avez apprécié qu’on vous ouvre la porte, qu’on vous sourie généreusement, qu’on vous salue courtoisement, qu’on attende derrière vous poliment.

Vous avez apprécié partager un moment joyeux avec le chauffeur de taxi, recevoir des conseils de fertilité da sa part, lui apprendre que Paris est en France, que les Français ne parlent pas espagnol et que 33 ans c’est jeune.

Maroc 

Ces six derniers mois, vous avez apprécié

entendre le claquement des sandales sur l’asphalte brûlant

et ne pas l’entendre sur le sable blanc.

Vous avez apprécié ne pas vous poser la question de l’épaisseur du sous-pull en octobre ou en mars.

Vous avez apprécié ne pas vous soucier de la longueur de votre manche, de votre jupe, de votre short, de votre robe.

Vous avez apprécié

vous balader le cœur ouvert à l’inconnu dans Burgos à la nuit tombée

et ne vous sentir nullement en danger.

Vous avez apprécié avoir le droit de boire une San Miguel en terrasse aux yeux de tous, dans l’indifférence générale.

Vous avez apprécié

dénicher un coin de ciel bleu entre deux tours,

compter les fils électriques avant de vous endormir, monter les 60 étages d’un immeuble et avoir l’impression de rejoindre Major Tom, pratiquer votre anglais et imiter l’accent des gens sérieux comme dans les séries américaines, vous sentir anonyme dans la ville comme Garou à Katmandou, prononcer « konti lang » et amuser la galerie,

trouver une noix de coco fraîche au coin de votre rue pour quelques pesos, élire la mangue des Philippines le meilleur fruit du monde,

avoir toujours une mangue dans le frigo, avoir toujours un projet de voyage sur une île en cours, avoir toujours la peau un peu hâlée, aller et venir à pied dans la ville, sauter à cloche-pied entre les cafards… Ah, il semblerait que la liste soit finie pour aujourd’hui.

En quittant le salon, environ dix-sept employés vous saluent en canon « Baiiiille Maaaaam ». Vous avez le sentiment de les avoir rendus heureux par votre simple présence. C’est illusoire, vous le savez, mais les Philippins ont ce don-là, souvent, de vous faire sentir un peu spéciale.

Vous vous engouffrez dans les rues de Manille, votre nostalgie, votre brushing et vous, et vous en allez tenter de rejoindre le présent et compléter votre liste non exhaustive des petits bonheurs quotidiens à Manille.

Une carte postale de Moalboal

Parce que Mon œil sur Manille n’a pas les yeux dans sa poche, parce que détourner le regard vers les rivages philippins procure le plus grand bien, parce que les sardines, c’est pas qu’en conserve, parce que « Pourquoi pas Moalboal ? »un dimanche mélancolique à Manille, parce que Moalboal c’est bon pour le moral. A savourer dans le Petit journal de Manille.
M1
Nous sommes lundi, et ce matin, vous caressez des yeux et des doigts les images que vous avez ramenées de votre séjour Là-Bas. Perchée dans votre donjon à Manille, bercée par l’entêtant marteau qui pique, vous vous demandez si vous ne l’avez pas rêvé, finalement, ce séjour…

 

Mais non, la preuve en est, vous avez encore du sel au creux de vos oreilles, des rougeurs cuisantes sur vos épaules et, quand vous fermez les yeux, de petits poissons multicolores défilent nonchalamment dans votre bocal.

Aller goûter ailleurs au merveilleux de ce pays…

M2Cela fait déjà quelques mois que vous cohabitez avec Manille, et pour la première fois, enfin, vous êtes allée goûter ailleurs au merveilleux de ce pays. Vous vous êtes envolée loin, très loin, là où vos rêves n’osaient même pas vous emmener. Vous avez quitté Manille trois jours et vous avez comme l’impression d’être partie renaître ailleurs. Vous avez caressé un autre air, goûté un autre riz, vu des bleus et des verts que même Leroy Merlin n’a pas sur ses échantillons de peinture.

Pour être bref et précis, vous vous êtes retrouvée quelques jours à quelques minutes de Ronda, petit village voisin à quelques pas de Moalboal, niché sur la côte ouest de la grande île de Cebu, à quelques trois heures de route de la Grande Cebu city, la « Petite Manille », située à une heure vingt seulement de vol de la Grande Manille. Ici comme ailleurs, le paradis, ça se mérite.

La petite musique des îles

A votre arrivée, force fut de constater que sur ce bout d’île, les marteaux ne piquaient pas, les moteurs ne grondaient pas, mais qu’une autre galerie sonore habitait les oreilles locales : au petit matin les coqs « cocoricotaient » et les balais dansaient, au crépuscule les chiens hurlaient, aux murs les geckos « tockayaient », sur le bord de route le karaoké braillait…

Afin de ressentir à nouveau vos émois de jeunesse, vous avez loué une pétroleuse qui fait « yeah », et vous vous êtes laissée emportée par les trépidations de votre machine, laissant libres vos cheveux et sauvages vos pensées, fendant l’air qu’on appelle ici amihan, saluant les enfants sur les bords de route vous hurlant gaiment « hellooooooooo »…

On the road again…

Alors que les obstacles s’inclinaient sur votre passage, vous avez noté que même au paradis, les villages se suivent et se ressemblent, les fils s’entremêlent aux poteaux électriques, les marchés du dimanche font la joie des dévots à la sortie des églises et les « traille-cykel » font régner l’omerta chez les roues libres.

Par-delà les ombres de la modernité, par-delà les coulées de béton qu’aurait pu cracher le roi Mayon, vous vous êtes élancée vers le ciel au gré des routes sinueuses et grimpantes. Vous avez croisé le regard implorant d’un buffle efflanqué, puis vous avez surplombé des paysages qui vous ont évoqué tour à tour le Brésil, la Polynésie, l’Australie, la Charente-Maritime… Rizières, marais, lacs, lagons… Et c’est ainsi que vous êtes arrivée au paradis, pleinement vivante, mais dans un train d’enfer – bref, vous connaissez la chanson.

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Démasquer le Pacifique…

Dans ce coin de paradis, on vous a invitée à nager dans des eaux qui vous ont semblé peintes par Gauguin et tiédies par le water dispenser. Vous avez voulu aller le visiter de l’intérieur, le Pacifique, voir un peu ce qu’il tentait de soustraire à notre regard. Surtout que tout le monde dans le coin avait l’air de s’accorder sur le fait qu’un masque et un tuba suffisaient à le démasquer.

En effet, une fois immergée dans les eaux limpides du Sage, vous avez découvert un monde insoupçonné des fouilleurs du ciel ! Un sol corallien digne des meilleurs architectes d’intérieur, avec des matières et des formes toutes plus farfelues les unes que les autres. Des laitues géantes, des bouquets d’algues titanesques, des pivoines fluorescentes et des champignons qu’on aurait dits dessinés par Koons… Rien ne semblait laissé au hasard par l’artiste.

Vous y avez rencontré les habitants des récifs coralliens, une galerie d’hurluberlus rivalisant de créativité niveau mode. Vous y avez croisé les grands de ce monde, tout le gratin des poissons : le chevalier masqué à cape noire, le déluré au costume zébré, le punk à crête rouge, la cagole en strass-écaille, le dandy aux arêtes d’or… Vous ne saviez déjà plus où donner de la tête quand elles sont arrivées, par milliers, offrant d’un seul et même corps les répliques des plus belles chorégraphies des rats de l’Opéra. Vous assistiez au ballet des sardines en résidence à Moalboal. Magique…

Au bon endroit, au bon moment…

De retour à la surface, vous l’avez de nouveau observé. Il était immense, serein, rassurant, d’une beauté insensée, avec pour seule ombre au tableau celle d’un cocotier plongeant. Entre chien et loup, vous avez vu le soleil quitter la Terre, comme tous les soirs. A la nuit tombée, une luciole a survolé la mer somnolente. Et vous, spectatrice de ce cirque naturel envoûtant, vous vous êtes tout simplement sentie au bon endroit, au bon moment.

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Boire du pays, épisode 2

Hors des frontières, l’expatriée couve et nourrit les fantasmes qu’elle projette sur son pays. Le fromage y est le meilleur, l’été le plus fabuleux,  le savoir-vivre le plus délicat, l’esprit le plus sagace, le vin le plus rond en bouche, l’équipe de France la meilleure… Mais un voyage au pays redonne tous ses contours et ses reliefs aux chimères.

(« Cocoricooooo!!!! », cocoricote l’expatriée ce matin tout de même. Même pas en rêve, on est en finale!!!!)

Mon œil sur Manille pour Le Petit journal de Manille 

Manille 3
Un voyage au pays vous a permis de prendre la mesure de la force avec laquelle les Philippines s’étaient immiscées en vous, insidieusement, poliment, gracieusement. Retour d’une Française en France.

 

En arrivant à l’aéroport, vous avez naturellement souri au contrôleur de l’immigration, en vain.  Vous avez répondu « salamat po », en tagalog dans le texte, aux douaniers et avez mis cela sur le compte du décalage horaire. En sortant, vous avez machinalement patienté devant une porte vitrée, pensant qu’elle allait s’ouvrir d’elle-même, en vain.

Au restaurant, vous avez attendu votre verre d’eau fraiche après vous être attablée, en vain aussi. On vous l’a finalement apporté en vin. Puis vous avez trouvé bien long le temps que l’on a mis à débarrasser votre couvert après votre dernière bouchée. Aux toilettes, vous avez cherché la petite poubelle afin d’y jeter votre papier. A la fin du repas, vous avez tracé un rectangle dans les airs, à l’aide de vos pouces et index, à l’attention du serveur. Il vous a prise pour une géomètre. Ou une azimutée.

Au supermarché, vous avez été impressionnée par l’épaisseur de l’essuie-tout, puis toute excitée devant la diversité de gels douche, de produits laitiers, de marques de taboulé. En vous y promenant comme on se promène dans un musée, vous avez trouvé les rayons bien dépourvus de personnel, les caisses bien dépourvues d’humains. A la fin de votre visite, vous avez attendu qu’on vous empaquette vos achats, en vain.

Vous avez été stupéfaite par le paiement bancaire sans contact, par les trottoirs sans voitures, par les voitures sans vitres teintées, par les sapins en matière végétale, par les spaghettis sans sucre et les palourdes sans fromage, par les horizons aux contours sans tours, par le silence sans bruit, par la clarté des eaux des canaux, presqu’aussi claires que les eaux de Siargao, par la mie du pain quotidien…

Hélas, en battant de vos bottes fourrées le pavage d’un centre-ville, vous avez eu le sentiment de marcher dans un mall à ciel ouvert, y léchant des vitrines pavées des mêmes intentions, des mêmes idées, des mêmes produits qu’à Manille. Ça vous a un peu sapé le moral, ce sentiment furtif d’être à Bordeaux comme au Power Plant de Rockwell. Dépitée par cet excès d’incitation à la consommation, vous vous êtes alors réfugiée dans les huîtres et le fromage. Et la galette, le foie gras, les apéricubes, la bûche, les chocolats, les curlys, la raclette, le vin chaud, le vin rouge, le vin blanc, en vain.

A la fin de votre séjour, vous avez dû remplir une valise pour la soute de pasalubong*, ne souhaitant pas déroger à la tradition philippine. Vous avez mis le paquet sur les caramels et les porte-clés de la Tour Eiffel.

Durant ces jours en France, vous avez multiplié les moments avec votre famille, votre belle famille, vos cousins, vos cousines, vos amies d’enfance, vos amies du collège, vos amies du lycée, vos amis de la fac, vos amis du couple, les voisins… Ces souvenirs-là ne vous auront valu aucune surtaxe à l’enregistrement de vos bagages ; tout est stocké dans votre cœur 🙂

10 jours après…

Et voilà, vous êtes rentrée à Manille un dimanche soir. A l’aéroport, le contrôleur de l’immigration vous a poliment saluée, des gardes armés vous ont largement souri, la porte vitrée devant vous s’est automatiquement ouverte… Derrière la porte, la douce brise de janvier vous a enveloppée, vous et votre cœur gros, vous et vos 3 kilos en trop, vous et vos valises de souvenirs, vous et votre satisfaction d’être de retour ici, chez vous.

jeepney

 

*Pasalubong, en tagalog, désigne les cadeaux-souvenirs que l’on ramène d’un voyage ou d’une sortie, et que l’on offre à sa famille, ses collègues et amis, dans le but de partager quelque chose qu’on a vécu.

Boire du pays, épisode 1

C’est l’été. On sort les transats et on ressort les vieux articles.
Ici le 1er épisode d’un article écrit pour le Petit journal de Manille à mon retour de vacances en France, au mois de janvier. Que cela semble loin déjà.
Manille expatriation expatriés mal du pays
Cela commence à faire quelques temps que vous habitez Manille, les premières illusions de la lune de miel sont passées, et il vous parvient de temps en temps un relent de nostalgie à l’égard de votre pays. C’est simple, la seule évocation de la France suffit à vous faire dresser les papilles. Instantanément, vous visualisez un paradis de charcuterie, fromages et baguettes, prêts à danser sous votre palais sur un petit air de valse musette.

 

La France, vous la côtoyez quotidiennement dans quelques applis de votre téléphone portable, et en cas de crise de manque aigüe, vous savez où la dénicher dans la Grande Manille,  pour la sentir vibrer dans votre cœur d’expatriote ou choir dans votre estomac chochotte. En effet, quand un dimanche de pluie, l’envie de voir au cinéma un film qui cause votre langue ou de sentir l’odeur des chocolatines chatouiller vos narines vous guette …alors ces jours-là, oui, il vous arrive de craquer pour une baguette molle de chez M. Kayser juste pour le plaisir de vous réfugier dans la mie, câline.

Heureux sont les jours où, au cours d’une pérégrination de fin de semaine, d’une courte course en taxi ou d’un déjeuner dans un café, elle vous adresse un clin d’œil. Une tarte Tatin sur un menu par-ci, Christine et les Reines qui chantent par là… Et puis soudain, alors que vous vous apprêtez à entrer dans l’instant présent en pleine conscience dans votre Grab, elle surgit dans votre oreille, aiguë comme un moustique en quête de de sang : la voix de Gilbert Montagné. Ça fait sens : vous y êtes vraiment, Sous les sunlights des tropiques.

manille 

Alors pour vous éviter de trop sombrer dans cette douce-amère mélancolie qu’on appelle « mal du pays », vous vous êtes octroyée un voyage au pays dernièrement pour les fêtes. Un retour aux sources, pour voir là-bas si vous y êtes toujours, pour refaire l’expérience du froid naturel, pour serrer dans vos bras ceux qui ne vous ont jamais quittée.

Et c’est là-bas, au pays de la mimolette et de l’ami Pierrot, que vous avez pris la mesure de la force avec laquelle les Philippines s’étaient immiscées en vous, insidieusement, poliment, gracieusement.

Yeux d’enfants

Ici la version non censurée de l’article à l’adresse du Père-Noël. 

(version censurée ICI)

Yeux d’enfants

Comme tous les ans, Manille écrit sa lettre au Père-Noël. Parce qu’on n’est jamais trop grand pour y croire.

noel manilleCher Père-Noel,

Je m’appelle Manille, j’ai 12 millions d’habitants et je t’écris pour passer une commande groupée. J’espère de tout cœur que cette année, tu commenceras ta tournée mondiale des cadeaux par mon archipel. En effet j’ai l’impression que ces dernières années, tu es arrivé chez moi en fin de course, la botte lourde, la hotte dégarnie et tes rennes trainant de la patte. Tu avais dû t’essouffler à trop crapahuter sur les toits pentus et glissants des pays nordiques. Ici, je te rassure, c’est beaucoup plus simple. Il te suffira de passer par les fenêtres ouvertes, ainsi tu ne ressortiras pas couvert de suie. Tu ne devrais pas avoir de problème d’embouteillages vu que tu arriveras à l’heure de la messe de minuit. Pour le stationnement, pas de problème, tes rennes n’auront qu’à patienter sur la chaussée, entre les tricycles et les jeepneys.

Père-Noel, sache que j’ai été très sage cette année. J’ai bien veillé à ce que mes cieux retiennent leur souffle, que mes nuages contiennent leurs chaudes larmes, que mon sol ne danse pas le tango, que ma rivière reste sereinement allongée dans son lit. J’ai fait tout comme il faut. Je me suis mise à penser à toi très tôt. Dès le mois de septembre, j’ai décoré mes avenues de lanternes et de guirlandes lumineuses, installé des crèches de toutes tailles, fait trôner des sapins de plastique dans tous mes centres commerciaux, parcs et places. J’ai fait jouer tes mélodies préférées sur toutes les ondes, dans tous les téléphones, j’ai même un peu baissé la température extérieure pour que tu t’acclimates bien lors de ton passage.

J’ai demandé à toutes les entreprises, à toutes les écoles, de faire moult fêtes en ton honneur ce mois-ci. Tu verrais comme mes habitants sont impatients à l’idée de ta venue. Ils font des concours de danse de Noël, s’égosillent au karaoké de Noël, créent des embouteillages de Noël, boivent des Frappuccino de Noël, dépensent bien plus que leur 13ème mois de Noel, prennent des congés maladie de Noël, colorent le duvet des poussins de Noël, enchaînent les prières de Noël, collectionnent les lots des tombolas de Noël, achètent des boules de fromage de Noël, du jambon de Noël. Avec tous ces efforts, j’ai gagné la réputation de détenir le record du plus long Noël au monde, sache-le !

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Je voudrais te remercier car il se trouve que, grâce à toi, je me sens un peu moins laide. La nuit je chatoie, vêtue de mes atours flamboyants. Mes tours se sont enguirlandées, mon horizon s’est étoilé, ma crasse s’est enduite d’un vernis doré, mon air s’est oxygéné. Enfin, pas vraiment, mais il n’est pas impossible que les particules fines se soient trouvé une jolie paillette avec laquelle valser dans mes airs. Alors chaque nuit, pour te signifier ma gratitude, j’envoie déflagrer des pluies de lumières dans mes cieux enfumés.

Ce lundi 25 au matin, dès potron-minet, je me réveillerai excitée comme une jeune ville de 10 ans, et irai vérifier aux pieds des sapins si tu as bien apporté nos joujoux, ci-après énumérés : un purificateur d’air, un purificateur d’eau, de l’anti-cafard bio, des boules Quiès, des armes en plastique, des lisseurs de trottoirs, des métros, des tramways, des véhicules électriques, du temps supplémentaire, des jardins, des toits, du travail, des docteurs et des médicaments gratuits pour tout le monde, des câbles enterrés, une bonne connexion internet et téléphonique, de la pluie qui tombe avec raison, du soleil qui brille sans plomb, et puis surtout, des familles unies et réunies autour d’un modeste festin. De l’amour, de l’amour, de l’amour.

Je te souhaite un bon voyage et beaucoup de courage pour l’emballage.

Je te remercie par avance.

Bien cordialement,

Manille

PS : j’espère que tu ne lis pas beaucoup Paris Match ou Le Monde. Il se pourrait que tu y apprennes les quelques bêtises que j’ai pu faire cette année. Je compte sur ton indulgence et ton ouverture d’esprit (ou ta myopie) pour ne pas m’en tenir rigueur.

Un dimanche à Manille

Juillet 2018. Il ne vous reste plus qu’un, dimanche à Manille… L’occasion de revenir sur ces jours du Seigneur qui se sont suivis et ressemblés des mois durant. Vous confondez déjà d’ailleurs celui d’hier avec ce dimanche de décembre où vous aviez rédigé un article pour le Petit journal intitulé « Un dimanche à Manille ».

Le dimanche à Manille, ce n’est pas comme à Bamako, ce n’est pas jour de mariage. Ce n’est pas non plus comme à Paris, jour de ciné, où l’on va voir le dernier Téchiné. Le dimanche à Manille, c’est avant tout le jour du Seigneur. Le matin, on prie, et l’après-midi, on comble. On essaie de compenser ce quelque chose que Manille n’offre pas. Une nourriture spirituelle, une gourmandise culturelle, une respiration, une page verte…

Premier bilan

Vous faites votre bilan des virées dominicales : vous avez déjà fait le tour d’Intramuros (l’unique quartier historique de la ville) au moins quatre fois avec vos parents, votre sœur, vos amis de France en visite et vos nouveaux amis un jour de pluie. Vous êtes déjà allée dans le fameux quartier chinois et avez fini par vous replier dans le non moins fameux cimetière chinois. On ne vous y reprendra plus. Vous avez testé tous les spas environnants et, après moult massages des racines de cheveux aux plantes des pieds, vous avez vos nœuds parfaitement dénoués.

birdsVous avez fait tous les musées, oui tous ! Du musée d’anthropologie au musée Pinto (le meilleur de tous et de loin – de loin, car à 20 km de Makati) en passant même par le musée à selfies, Art in Island, de Quezon City (grâce auquel vous avez pu faire croire à vos amis de France que vous surfiez en jupe à Manille). Vous avez bien pris grand soin de ne pas tous les faire d’affilée, afin de ne pas épuiser tout le capital culturel de votre temps d’expatriation. Reste sans doute encore quelques galeries, de ces lieux secrets qu’il faut du temps pour dénicher…

 Le dimanche à Manille, vous avez vu des films au cinéma que vous n’assumerez jamais d’être allés voir (en réalité, vous avez fait tous les films de super héros pour étancher votre soif audiovisuelle, les bons et les moins bons). Vous avez écumé tous les centres commerciaux de la métropole en vous convainquant du fait que c’était l’activité socio-culturelle la plus populaire de la capitale. Vous avez passé trop de dimanches à rêver des plages de sable blanc qui sont à portée d’ailes, trop de dimanches à vous rêver à Kyoto pour une sieste sous un arbre ou à La Rochelle pour un café sur le Vieux-Port.

Aujourd’hui, dimanche…

Aujourd’hui dimanche, vous regardez la ville depuis votre hublot d’immeuble et vous vous demandez ce que vous pourriez bien faire d’elle… Elle vous semble immobile, figée, quasi-angélique. L’envie vous prend de la croquer à pleines jambes. Ni une ni deux, vous mettez le cap vers un des derniers bastions que vous n’avez encore conquis : le parc Rizal…

 Une heure et demie plus tard (pour 3 km), vous y voilà. Une étendue de gazon vert-marron se déroule devant vous, un rectangle d’eau offre son reflet aux pigeons les plus narcissiques. On a étendu sa serviette pour toute la famille, les frères et les sœurs sont au rendez-vous. On se raconte les dernières misères de la voisine, les amourettes secrètes du beau-frère, les dépenses onéreuses de Noël, les projets de vacances en province, en attendant le spectacle des lumières de 18h.

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 Près du jardin japonais, on souffre un peu de la chaleur et on fait passer le temps en jouant aux échecs ou au majong. Si on a moins de vingt ans, on s’entraine à danser sur le dernier tube d’un groupe de pop coréenne. On semble saisir le moindre prétexte pour être ensemble. Pour rendre le dimanche plus léger que les autres jours. On a emmené son coq pour lui dégourdir les pattes, on a apporté des biscuits pour donner aux petits.

Près du jardin chinois, on apprécie le groupe qui fait rugir ses notes métalliques dans l’air tiède du crépuscule et couvre les mélodies de Noël braillant dans les haut-parleurs plantés dans chaque allée du parc. Questions de goûts. On fait la sieste avachi sur son sac à dos, on médite les bonnes idées de Confucius ou on se réjouit de sentir un brin d’herbe chatouiller ses pieds nus.

Jose Rizal

Là-bas, au bout du parc, on le trouve plus petit qu’on l’imaginait, on le prend sous toutes les coutures, on se tait un instant, on récite en silence ses vers « Adios, patria adorada, region del sol querida, … »… Jose Rizal !

En levant les yeux vers le drapeau bleu, blanc, rouge, qui flotte gracieusement entre les particules fines du ciel rose, on est tellement fier d’être philippin. Et vous, vous êtes tellement fière d’être témoin de cette communion entre l’histoire et le présent, de sentir le pouls du pays dans le poumon de la ville. Vous vous dites que finalement, vous avez passé bien trop de dimanches à rêver d’ailleurs, alors que ce que vous cherchez est aussi ICI.

Lune de miel à Manille

La lune de miel a pris fin depuis belle lurette entre elle et moi. Mais ce matin de juillet 2018, alors que le courant d’air nommé Maria s’apprête à venir faire valser nos palmes, il est bien agréable de se replonger dans ces doux souvenirs d’antan. Chabadabada chabadabada… Petit journal de Manille, octobre 2017.
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Buko (noix de coco) fraîches à vendre dans une rue du quartier Burgos de Makati

Poursuite du journal d’une expatriée à Manille avec cette lune de miel, inattendue et revigorante! « C’est votre première journée dans la mégalopole… »

Petit matin sur Manille 

C’est votre première journée dans la mégapole. Au petit matin, vous découvrez Manille et son visage froissé par de nombreuses insomnies.

Ça y est, vous avez passé votre première nuit dans votre condominium, au 33ème étage. Vous n’aviez jamais dormi aussi près des étoiles… L’esprit légèrement embrumé par six heures de décalage horaire, vous ne savez plus très bien si c’est un hélicoptère ou un marteau-piqueur qui vous a réveillée.

Au petit matin, depuis votre balcon, vous découvrez la ville miniature à vos pieds et toutes les fourmis qui la font tenir debout. Manille vous offre un visage froissé par de nombreuses insomnies. Un grand lacet marron glacé se faufile dans la plaine urbaine, une mosaïque de toits forme un puzzle géant, de grandes tours semblent se soutenir les unes les autres. Des sentiments confus vous traversent.

C’est vrai qu’elle n’est pas tout à fait comme vous l’aviez imaginée. Mais vous vous dites que ce qui compte après tout, c’est sa beauté intérieure. Et cette beauté, vous comptez bien aller la capturer à la volée, dans l’étrangeté d’un instant, dans le cœur d’un palmier, dans un ciel rose offert par le soleil avant sa cure de sommeil, dans l’échange d’un sourire, dans l’œil d’un cyclone ou autre havre de paix.

Equation à deux inconnus : un regard croisé est généralement un sourire gagné

Manille s’éveille, vous décidez de vous lancer dans une balade urbaine, parce qu’une ville ne s’apprivoise jamais mieux qu’à pied. L’atmosphère semble légère… C’est l’avantage des particules fines, on ne les sent pas ! Un gardien de parking vous salue de façon enjouée et un chauffeur de tricycle vous souhaite la bienvenue aux Philippines! Le caissier du 7-eleven vous demande si vous parlez quelques mots de tagalog, vous lui répondez « konti lang » et vous avez l’impression de le rendre heureux pour la journée. Des passants vous disent « hello ma’am » de temps en temps, comme ça, pour le plaisir de saluer une étrangère, et ça vous donne un grand sentiment de liberté. Ici vous n’avez pas à baisser les yeux.

Vous prenez le taxi et le chauffeur s’enquiert de savoir si vous êtes mariée, si votre mari est philippin, si vous avez des enfants, pourquoi vous êtes ici, comment vous supportez Manille, veut savoir les lieux que vous avez visités, préférés, si vous avez déjà mangé du balut, ponctue ses questions de « heavy traffic Ma’am », « it’s stuck here ».Vous jetez un coup d’œil par la vitre aux congénères responsables de ce tohu-bohu (et du fait d’avoir à déballer votre biographie complète) et pêle-mêle s’entremêlent jeepneys, tricycles, bus, berlines coréennes, bolides japonais… Vous pensez à la personne à laquelle vous aviez donné rendez-vous à une heure précise dans un lieu précis et vous intégrez les premières notions du « Filipino time ». Vous pensez que l’expression « Bahala na » (advienne que pourra) que vous avez lue dans le Lonely Planet est de circonstance.

En rentrant chez vous, le gardien de votre condo découvre largement ses dents sur votre passage et fait danser ses sourcils de haut en bas. Puis il reprend sa chansonnette, l’arme en bandoulière. La voisine croisée dans l’ascenseur est curieuse de savoir d’où vous venez. Vous lui dites que vous venez de France et elle vous cite du tac au tac un personnage historique très célèbre, le fameux Louis Vuitton.

On a tous quelque chose en nous de Jose Rizal

Ce soir, au bar, vos voisins de table rient à s’en décoller la luette et s’égosillent à en faire choir les petits lézards nichés aux coins des murs. Le serveur fait « hai! » quand il s’emmêle les pinceaux dans votre commande et, s’il ne peut répondre positivement à votre demande, se fond en excuses avec un « reallyyy sorryyy ma’am » accompagné d’une expression faciale qui fait reparaitre l’enfant en lui jamais parti. Au fur et à mesure que le volume sonore augmente, « tapooos »* met les points sur les « i », la chanson « happy birthday to youuuu » fait vibrer les glottes et génère une effervescence rare. Mais quand un micro se présente à l’un d’eux, tout devient soudainement très sérieux. On se sent alors accéder, au fil des notes écornées, au quelque chose de Jose Rizal que chaque Philippin a en lui.

Et puis on rit…

Dehors, sur les trottoirs de la ville, on attend patiemment en rang deux par deux son bus, son train, son jeepney. On fait bruyamment claquer ses sandales sur l’asphalte fumeuse, on soulève son t-shirt pour laisser respirer un bidon tout rond, on éructe sans avoir à craindre la désapprobation de son voisin, on gobe sa brochette d’intestins, et puis on rit. On rir si on a honte, on rit si on a mal, on rit si on a peur, on rit parce que c’est plus léger pour soi et l’autre.

Vous rentrez chez vous, là-haut pour regagner vos étoiles, tapies derrière le voile lacté de gaz en tous genres, et vous vous dites qu’avec des habitants pareils, Manille finalement ne manque pas de couleurs. Vous entamez votre lune de miel…

*donc, en tagalog

Manille horizontale, verticale

« With or without you »

Juillet 2018. Ça fait 11 mois. Elle et moi. 11 mois de « Je t’aime moi non plus », de « Casse-toi tu pues et marche à l’ombre », de « Paroles, paroles, paroles »… mais aujourd’hui « Je suis venue te dire que je m’en vais ». Et ne me demande pas « Dis quand reviendras-tu, au moins le sais-tu? ». Ja-mais! Nous serons l’exception de la règle qui raconte que « jamais deux sans trois »! « Voilà, c’est fini », et c’est tout. Tu peux me pleurer une rivière que ça n’y changera rien.

« Halelujah » 

Aujourd’hui, Manille, la braillarde, l’odorante, la sulfureuse, laisse doucement sa place à Shanghai l’inconnue dans le champ de mes pensées, de mes projets, de mes espoirs. Manille revêt définitivement sa couleur de vécu, son odeur d’humidité, son impression de déjà-vu. Et pour les quelques jours qui me restent à y vivre, voici une réédition d’un de mes articles parus dans Le Petit Journal de Manille.

Manille fait partie de ces villes qu’une vie ne suffit pas à comprendre, à apprivoiser. Parce que ses charmes se nichent surtout dans les yeux de ceux qui la regardent, parce que l’harmonie n’a pas fait partie des objectifs généraux de la politique urbaine des Marcos et de leurs successeurs, parce qu’elle se lit à l’horizontale comme à la verticale… apprendre à décrypter Manille révèle en nous quelques troubles de la lecture.

Dabord Manillece nest pas vraiment Manille.

C’est en fait Metro Manila, c’est en fait 17 villes, c’est en fait Makati, Quezon, Mandaluyong, Taguig… Manille, c’est une somme d’heures pour parcourir quelques kilomètres, c’est la conjonction de divers moyens de transport (tricycles, jeepneys, bus, taxis, métros aériens, métros souterrains…), ce sont des trottoirs conçus comme des parcours à obstacles, des tunnels pour relier ces trottoirs, des passerelles pour connaître l’autre côté du boulevard. Manille c’est long, c’est loin, c’est l’impression qu’on n’en verra jamais le bout, qu’on n’en connaîtra jamais le bord, qu’on n’en définira jamais le contour. Manille, c’est finalement se dire que ce serait plus simple de prendre l’avion pour la quitter et la retrouver.

Manille a par ailleurs cette fâcheuse tendance à sélever

Manille verticale

Manille a par ailleurs cette facheuse tendance s’élèver très haut pour occulter ce qui se passe très bas. Manille d’en haut prend de grands airs conditionnés tandis que Manille d’en bas s’asphyxie dans le souffle chaud des gaz réfrigérants. Manille d’en haut tutoie les étoiles quand Manille d’en bas voit parfois son ciel lui tomber sur la tête. Manille d’en haut et Manille d’en bas se croisent mais ne se côtoient que rarement. En effet, l’ascenseur (social) de Manille ne laisse pas monter tout le monde.

Au rez-de-chaussée, on quadrille Manille de long en large, on vend du maïs bouilli sur des chariots ambulants, on conduit, on cuisine, on nettoie, on trime pour les gens d’en haut, on observe du coin de l’oeil le ciel sans oser rêver le toucher. Dans les étages, on s’affaire, on se laisse pousser les œillères, on se fait conduire, on verrouille les portes, on teinte les vitres, on vise les étages du dessus.

Et au milieu coule une rivière

La rivière Pasig. Et au milieu émerge une classe, moyenne. Et au milieu s’inscrit l’espoir d’un juste ciel, où les étoiles tutoiraient le rez-de-chaussée.