Ici la version non censurée de l’article à l’adresse du Père-Noël.
(version censurée ICI)
Yeux d’enfants
Comme tous les ans, Manille écrit sa lettre au Père-Noël. Parce qu’on n’est jamais trop grand pour y croire.
Cher Père-Noel,
Je m’appelle Manille, j’ai 12 millions d’habitants et je t’écris pour passer une commande groupée. J’espère de tout cœur que cette année, tu commenceras ta tournée mondiale des cadeaux par mon archipel. En effet j’ai l’impression que ces dernières années, tu es arrivé chez moi en fin de course, la botte lourde, la hotte dégarnie et tes rennes trainant de la patte. Tu avais dû t’essouffler à trop crapahuter sur les toits pentus et glissants des pays nordiques. Ici, je te rassure, c’est beaucoup plus simple. Il te suffira de passer par les fenêtres ouvertes, ainsi tu ne ressortiras pas couvert de suie. Tu ne devrais pas avoir de problème d’embouteillages vu que tu arriveras à l’heure de la messe de minuit. Pour le stationnement, pas de problème, tes rennes n’auront qu’à patienter sur la chaussée, entre les tricycles et les jeepneys.
Père-Noel, sache que j’ai été très sage cette année. J’ai bien veillé à ce que mes cieux retiennent leur souffle, que mes nuages contiennent leurs chaudes larmes, que mon sol ne danse pas le tango, que ma rivière reste sereinement allongée dans son lit. J’ai fait tout comme il faut. Je me suis mise à penser à toi très tôt. Dès le mois de septembre, j’ai décoré mes avenues de lanternes et de guirlandes lumineuses, installé des crèches de toutes tailles, fait trôner des sapins de plastique dans tous mes centres commerciaux, parcs et places. J’ai fait jouer tes mélodies préférées sur toutes les ondes, dans tous les téléphones, j’ai même un peu baissé la température extérieure pour que tu t’acclimates bien lors de ton passage.
J’ai demandé à toutes les entreprises, à toutes les écoles, de faire moult fêtes en ton honneur ce mois-ci. Tu verrais comme mes habitants sont impatients à l’idée de ta venue. Ils font des concours de danse de Noël, s’égosillent au karaoké de Noël, créent des embouteillages de Noël, boivent des Frappuccino de Noël, dépensent bien plus que leur 13ème mois de Noel, prennent des congés maladie de Noël, colorent le duvet des poussins de Noël, enchaînent les prières de Noël, collectionnent les lots des tombolas de Noël, achètent des boules de fromage de Noël, du jambon de Noël. Avec tous ces efforts, j’ai gagné la réputation de détenir le record du plus long Noël au monde, sache-le !
Je voudrais te remercier car il se trouve que, grâce à toi, je me sens un peu moins laide. La nuit je chatoie, vêtue de mes atours flamboyants. Mes tours se sont enguirlandées, mon horizon s’est étoilé, ma crasse s’est enduite d’un vernis doré, mon air s’est oxygéné. Enfin, pas vraiment, mais il n’est pas impossible que les particules fines se soient trouvé une jolie paillette avec laquelle valser dans mes airs. Alors chaque nuit, pour te signifier ma gratitude, j’envoie déflagrer des pluies de lumières dans mes cieux enfumés.
Ce lundi 25 au matin, dès potron-minet, je me réveillerai excitée comme une jeune ville de 10 ans, et irai vérifier aux pieds des sapins si tu as bien apporté nos joujoux, ci-après énumérés : un purificateur d’air, un purificateur d’eau, de l’anti-cafard bio, des boules Quiès, des armes en plastique, des lisseurs de trottoirs, des métros, des tramways, des véhicules électriques, du temps supplémentaire, des jardins, des toits, du travail, des docteurs et des médicaments gratuits pour tout le monde, des câbles enterrés, une bonne connexion internet et téléphonique, de la pluie qui tombe avec raison, du soleil qui brille sans plomb, et puis surtout, des familles unies et réunies autour d’un modeste festin. De l’amour, de l’amour, de l’amour.
Je te souhaite un bon voyage et beaucoup de courage pour l’emballage.
Je te remercie par avance.
Bien cordialement,
Manille
PS : j’espère que tu ne lis pas beaucoup Paris Match ou Le Monde. Il se pourrait que tu y apprennes les quelques bêtises que j’ai pu faire cette année. Je compte sur ton indulgence et ton ouverture d’esprit (ou ta myopie) pour ne pas m’en tenir rigueur.